I Vitelloni (1953) - Federico Fellini
Lion d'Argent Venise 1953
Documents d'étude pour la spécialité Jean Vigo Millau. Joëlle Compère
Questionnements

Périodes et courants
« Je n’ai jamais eu la préoccupation de fuir le néoréalisme auquel je ne me suis jamais identifié même si j’ai travaillé aux côtés de Rossellini. Cela a été une grande expérience de vie, comme tant d’autres choses, mais je ne l’ai jamais ressentie comme relevant d’une esthétique. » Federico Fellini.

Un cinéaste au travail
"Je ne sais pas regarder les choses avec détachement, à travers la caméra par exemple. Je ne mets jamais l'oeil à la caméra. Je me fous de l'objectif. Je dois être au milieu des choses. J'ai besoin de tout connaitre de tout le monde, de faire l'amour avec tout ce qui est autour de moi". Federico Fellini
Lecture et document


p 8 et 9
Amarcord ( bande annonce VOST )
Autre extrait La'arrivée de l aneige

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Séquencier
Ce document intègre :

un résumé argumenté
une réflexion sur les thèmes
un commentaire détaillé sur la structure du film
Pistes de réflexion proposées à la fin de l'article :


1. Le film nous renseigne-t-il sur le "fait social" des Vitelloni ? Est-ce pour autant un film social ?
2. La structure du film est-elle très rigoureuse ? Répond-elle aux intentions de l'auteur ?
3. Les caractères des personnages sont-ils schématisés ou particularisés ? De quelle manière ?
4. Moraldo a-t-il une importance plus grande que les autres personnages ?
5. Qu'est-ce qui caractérise l'atmosphère du film ?
6. Quelle est la portée du film ?
Document rédigé en 1960

Intègre un synopsis, une étude sur la structure du film, une réflexion sur les thèmes et une étude synthétique sur les personnages
Des Ulysses sans aventures

Arc narratif aux oubliettes
En se concentrant sur l’arrière-saison d’une station balnéaire, Fellini commence à développer un type de récit qui va devenir sa marque de fabrique, reléguant l’intrigue classique aux oubliettes pour mieux se concentrer sur le climat existentiel dans lequel baignent ses protagonistes.
André Bazin, avec une remarquable prescience, le résume parfaitement dans son étude sur Les Nuits de Cabiria quand il écrit que des termes comme « intrigue » ou « action » ne s’appliquent plus à l’art fellinien. Et d’ajouter que, dans un tel cinéma :

« le temps existe seulement comme milieu amorphe des accidents qui modifient, sans nécessité externe, le destin des héros.
Les événements n’y “arrivent” pas, ils y tombent, ou ils en surgissent, c’est-à-dire toujours
selon une gravité verticale et non point pour obéir aux lois d’une causalité horizontale ».

De fait, on pourrait sans difficulté imaginer d’autres épisodes aux aventures de Moraldo, Fausto, Alberto,Leopoldo et Riccardo, de même que l’on pourrait en supprimer certains, ou en inverser l’ordre.

Micropéripéties, anti-épiques
Quand la vie s’écoule de si morne manière, avec, en voix off, ce « nous » qui indifférencie autant qu’il englue les êtres, rien ne s’élève, rien ne se distingue, rien ne semble valoir la peine d’être vécu. Le mode narratif des Vitelloni, évidemment rattachable à la chronique, peut se comprendre comme l’exact inverse du modèle épique. Là où le héros se forge dans l’adversité et les épreuves, là où chaque moment du récit témoigne d’une progression en vue de l’obtention d’un but, Fellini nous propose en lieu et place une suite de micropéripéties éparses, volatiles, qui expriment à la perfection le caractère falot de ses héros.

Des personnages qui ne veulent pas changer
On connaît la terrible fable de La Fontaine qui raconte comment Ulysse, ayant séduit Circée, obtient d’elle le droit de ramener à l’état d’hommes les membres de son équipage changés en bêtes. Seulement, tous autant qu’ils sont devenus lion, ours, loup et renard refusent de se refaire homme, répétant de manière lancinante : « Je ne veux pas changer d’état.
» Les « gros veaux » de Fellini, eux non plus, ne veulent pas changer d’état – à l’exception du jeune Moraldo, le moins usé, le moins corrompu des cinq. Leur animalité, encore discrète si on la compare aux femmes-baleines et autres hommes-oiseaux qui peupleront le cinéma fellinien à venir, leur est une province, et beaucoup davantage. Ils n’en sortiront donc pas. Quand Ulysse disait à Polyphème : « Mon nom est personne », c’était une ruse pour triompher. En revanche, quand Alberto se lamente en déclarant « nous ne sommes personne ! », il dit simplement la vérité…

A rapprocher du roman comique Les années perdues de Vitaliano Brancati (1941)
D’une certaine façon, et même s’il ne semble pas que Fellini et ses scénaristes n’aient jamais clamé cette influence, ce film délibérément anti-épique, et par conséquent éminemment moderne, peut évoquer un roman paru une dizaine d’années plus tôt, dans la deuxième décennie du fascisme italien : Les Années perdues de Vitaliano Brancati (1941). Rédigé entre 1934 et 1936, ce dernier raconte l’irrémédiable ennui d’une bande d’amis provinciaux, cette fois siciliens. Dans une petite ville où, comme l’écrit méchamment le narrateur, « les chiens errants, avec leur course droite, leur air d’avoir un projet, une destination (au point que les citadins se demandaient avec un sentiment d’envie : mais où vont-ils donc, tous ces chiens ?) étaient les seuls à relever le prestige de l’Occident », quatre jeunes gens cherchent mollement à échapper à la médiocrité à laquelle leur époque et leur milieu semblent les condamner. Après avoir échafaudé, pour certains, de vagues projets hors de leur ville, à Rome ou ailleurs, ils se retrouvent pour se consacrer à une tâche noble, un but supérieur. Celui-ci se présente sous la forme d’un projet architectural d’envergure : l’élévation d’une tour panoramique. Une fois l’édifice péniblement achevé au bout d’une dizaine d’années, « Les Compagnons d’Ulysse »,il apparaît qu’il est interdit de l’ouvrir au public, car ce type de lieu serait (selon la loi) à même d’encourager au suicide. L’échec est donc patent, et la plupart des personnages abandonnent toute ambition, voire sombrent dans la folie.

Amarcord
même description de l’ennui provincial, même caractère autobiographique assumé, même figures d’éternels adolescents, tout cela en poussant de manière plus radicale tant le grotesque des personnages et des situations que le caractère anti-épique de la trame narrative. En effet, si Les Vitelloni se déroulent dans les années 1950, les types existentiels qu’ils dépeignent sont rattachés à la jeunesse du cinéaste et de ses coscénaristes, autrement dit au fascisme. Ainsi, le projet Moraldo in città devra attendre pour les mêmes raisons Roma afin d’être replacé dans son cadre, celui de la fin des années 1930.

Penser et mettre en scène le fascisme de l'intérieur
Les rêves de grandeur des Siciliens de Brancati comme les farces stupides des Romagnols de Fellini sont une manière, originale, ambiguë, aussi éloignée qu’il est possible de l’art traditionnellement antifasciste (qu’il s’agisse des romans engagés d’un Elio Vittorini ou des films néoréalistes d’un Carlo Lizzani) de penser le fascisme de l’intérieur.
Non simplement comme un mal historique et politique (cela, la fiction de gauche le fait déjà très bien), mais comme un mal existentiel. Fellini s’en expliquera parfaitement dans une lettre au critique Gian Luigi Rondi, au sujet d’Amarcord :

« le film reflète ce qu’était le fascisme, la manière d’être fascistes,
psychologique, émotive,
et donc d’être ignorants, violents, exhibitionnistes, puérils.
Je considère le fascisme comme une dégénérescence au niveau historique
– d’une saison individuelle – celle de l’adolescence –
qui se corrompt et pourrit en proliférant monstrueusement, sans réussir à évoluer et à devenir adulte.
Aussi fascisme et adolescence sont-ils surtout
des représentations de nos complexes les plus enfouis,
expressions d’un état psychique confus et réprimé, donc stupidement agressif . »

Reprenons quelques termes du Maître : « être ignorants », « puérils », « dégénérescence au niveau historique […] de l’adolescence »… Si l’on excepte la question de la violence, on peut en effet bien voir comment, avec Les Vitelloni, Fellini met en place la représentation d’un type qui sera sa contribution à la compréhension du phénomène fasciste – comme si ce dernier avait été, à l’échelle de tout un pays et pour un quart de siècle, une sorte de « vitellonisme » triomphant… Et le seul qui s’en tirera, au cours d’une ultime et mémorable séquence, c’est justement le personnage dont les traits et l’itinéraire évoquent le plus directement le destin du cinéaste lui-même, à savoir Moraldo