CELLE QUI…
Toujours la première arrivée. Une voix ferme et claire qui exige l’attention. Elle faisait toujours le tour de table, un bonjour pour chacun. Elle vérifiait aussitôt que son mari avait bien dit bonjour lui aussi. Elle l'impliquait sans cesse. « Tu te souviens de… », disait-elle à tout bout de champ. Elle dominait la situation. Elle montrait toujours une attention appliquée au moindre souci d'autrui. À croire qu'elle aimait apprendre que les autres avaient des problèmes. Elle aimait les plaindre. Elle avait toujours une explication un conseil un reproche. Son mot préféré était « le pauvre, la pauvre, la pauvre Monique , le pauvre Albert! »
On l’entendait dire avec gourmandise : »tu sais pas ce qui est arrivé à Solange? ou encore, le fils de Gérard figure- toi qu’il s'est suicidé! » Combien elle était à l’aise avec le malheur des autres. C'était une façon de cultiver sa différence à son bénéfice. Par exemple : un jour en randonnée tout le monde en bavait ; mais elle,elle avait grimpé sur un rocher. Il fallait qu'on l’admire . Immanquablement son mari lui avait servi son compliment : « une vraie petite chèvre ». Il était bien dressé. Et elle d’ajouter, faussement modeste : oh! j'ai beaucoup perdu.
Elle s’inquiétait de son mari avec une constance qui frôlait le harcèlement :
-t’as pas oublié on carnet de chèques ?
-t'as pris ta trinitrine ? retire ton pull!
Son mari était la première victime.
Je la supportais mal. Je me demandais toujours qui elle allait conseiller, quel remède elle allait proposer. Elle savait remédier au diabète, éviter les embouteillages, faire les tripes à la mode de Caen, prendre soin des ongles des cheveux des, chevaux.
Elle avait un art de s’immiscer dans les conversations, de trancher , et elle savait tout sur tout. Je suis sûre qu’elle avait prévu l’issue de l’élection américaine.
La terrible Miranda Priestly dans "Le Diable s'habille en Prada", incarnée par Meryl Streep