ClémentineElle s'appelle Clémentine et elle ronde comme une pomme. Bien sûr il y a de nombreuses variétés de pommes, évidemment nous passerons la Golden, même si ce nom devenu si banal renferme le nom « or », une pomme en or tachetée de minuscules points noirs comme des tâches de rousseur, ce serait vraiment pas mal pour une jolie fille ronde comme Clémentine, mais trop de comparaisons tuent la comparaison.
Et pourtant je voudrais bien atteler notre héroïne à sa ressemblance, à sa paire. Je recherche dans le catalogue, il y a la pomme « tentation, fruitée, sucrée et parfumée », franchement je n'y vois rien de séducteur, je préfère la pomme « jazz, rouge, juteuse, sucrée et acidulée » à la fois. Comme quoi parfois, le tempérament d'un personnage ne tient qu'à un adjectif.
Alors voilà Clémentine, une fille ronde comme une pomme, toujours parée de fines écharpes aux couleurs rafraîchissantes pour certains et trop pétulantes pour d'autres, du rose pétant au jaune citron, cela lui va bien car ses yeux sont d'un bleu acidulé et sa bouche est un bonbon rouge sucré. Ces cheveux courts et frisés encadrent son visage, ils sont parfois, vert amande, parfois bordeaux, parfois teintés d'une mèche blanche sur le côté, parfois blonds et lisses.
En fait tout le monde croit que Clémentine est une fille superficielle car elle accorde de l'importance à son apparence et il n'en était rien bien sûr. « Mes habits sont mon utopie du jour, pouvoir me transformer c'est comme si je réalisais un rêve, je suis dans une autre vie avec d'autres gens », c'est ce qu'elle avait écrit dans son carnet où nous y avions découvert une liste étonnante :
1.Ses cheveux rouges embraseront les arbres
2.Elle marche sous la terre
3.La peau des oranges parfumeront les herbes
4.Sa gorge se nouera dans un cri
5.Elle était née dans un baluchon
6.Elle fera le tour des lacs
7.Chaque jour sera une naissance
Pourtant lorsque Clémentine nous parlait, c'était toujours avec des phrases simples, des mots de tous les jours, même si l'on sentait bien un petit décalage, à peine perceptible, mais maintenant que j'y repense, elle nous donnait des indices, « Alors les filles, une journée de fée aujourd'hui ! » ou encore « non je ne peux pas vous accompagner, un verre de tilleul péruvien m’attend » ou bien, « je suis fatiguée, mal dormi et je me suis réveillée comme un granit éternel ». Nous n'y prêtions pas attention, on se disait que c'était sa petite touche perso et qu'elle voulait se rendre intéressante.
Clémentine rêvait de devenir boulangère, sentir la farine se pétrir dans ses mains, faire jaillir les parfums de la cuisson, elle avait été tellement triste pendant son stage, les baguettes, les pains les bâtards, les pains de campagne arrivaient congelés par sacs de trente, personne ne touchait la farine, de grandes machines happaient les miches, les flûtes, les couronnes, les boules et elles ressortaient dorées, fumeuses, odorantes. Elle avait écrit « le pain ne pourra plus être celui de Dieu, le levain est une formule chimique et le four une antre mécanique ».
Et puis un jour sombre est arrivé, Clémentine la pomme rouge et ronde était toute grise, ratatinée, elle était comme suivie d'une ombre mélancolique qui s'ennuyait ferme avec elle, plus aucune vague, ni remous, ses paroles étaient plates et mornes, pas d'écharpe fine du gai pinson qu’elle était ou jaune du chardonneret.
Elle se souvient de cette matinée à l'école, une journée ensoleillée comme ce matin. C'était des grandes vitres à l'ancienne. Comme celles qu'on imagine dans les textes de Giono. Mais la cour là, n'était que béton, un préfabriqué le long d'un des quatre murs.. Un poêle noir trônait à droite du bureau de la maîtresse. Elle rêvassait à regarder les branches de l'arbre qui poussait désespérément ses branches exprès vers elle, elle en était sûre, il venait pour elle, la prendre dans sa ramure, et là, elle deviendrait un merle, ah non, une merlette, comme elle serait heureuse à pouvoir siffler le printemps.
Et là d'un coup, c'est un autre souvenir, sa première maîtresse qui chante A la Claire Fontaine m'en allant me promener. C'était sa voix qui était si claire, et à l'écouter, elle était devenue cette eau qui glissait. Cette maîtresse était un ange descendue du ciel, un acte magique. Sa peau était diaphane, ses cheveux séparés par une raie au milieu, lisses et noirs, tombaient sur ses épaules. Elle portait une blouse blanche et avait une voix si douce.
Le sifflement de la bouilloire l'a fait sursauter et elle découvre une vapeur déjà dense au dessus de la cuisinière et de l'évier. Elle l’éteint et rigole toute seule, comme si une bouilloire pouvait se confondre au chant du merle ! Et pourtant …
« Par contre ce que je voudrai moi, c'est bien aller me perdre dans la brume du bois, distinguer à peine les branches, les troncs, les feuilles, le chemin pierreux, entendre les cloches des vaches, faire craquer les feuilles et faire sortir la vapeur de ma bouche »
Elle se voit dans sa cuisine claire, petite, à son goût. Elle prend la bouilloire et se prépare une tisane à la menthe. »Devant ma cabane, il y aura des pieds de menthe et de la verveine citronnée. Les pommiers seront des Saint Germain.
Clémentine se lève déterminée et attrape un énorme livre carré, le pose sur la table. A la rubrique pommier, p 202. C'est cela même, elle créera une pommeraie sur sa toile imaginaire, elle en fera des traits et des couleurs, des troncs et des rainures dans la terre, de la brise sur les feuilles qui penchent dans le souffle, elle caressera les écorces grises, et le merle se posera, lancera sa longue phrase. Elle ouvre la fenêtre, saisit un brin d'air qui vole, le mélange au vapeur de menthe de sa tisane qui attend, et voilà ! Devant elle, son jardin enchanté.