Atelier d'écriture Base Arts
Rue Lauret - Millau
Documents des ateliers
Celui qui …

Celui qui avait de grands yeux bleus étonnés à l'hôpital
Celui qui cherchait les mots
Celui qui avait tant de choses à te dire
Celui qui avait tressailli en tombant
Celui qui portait une barbe de sage
Celui que l'on renvoyait des écoles
Celui qui riait de ses blagues avant de les dire
Celui qui ne savait pas si il était breton
Celui qui foulait le sable des plages
Celui qui regardait les marées toujours fasciné
Celui qui avait un jour disparu dans un train
Celui qui retenait les mots aussi parfois
Celui qui aurait voulu être une mouette
Celui qui entassait des piles de papiers comme on sème des cailloux
Celui qui roulait dans une BM rouge comme un enfant ravi
Celui qui cassait ses pédales dans les côtes en revenant de l'école
Celui qui chipait les pommes et tombait du haut du mur
C'est mon papa.

Joëlle
At Ecri Mill 01 12 23

Portrait

Je n’y crois pas, encore elle ! Elle est là, elle fait l’importante. Elle tient son auditoire. Elle impose l’écoute. Je l’observe, restant prudemment à distance. J’ai déjà donné ! Je ne la supporte pas cette madame je-sais-tout. Elle a une façon de regarder intimidante. Si tu sembles distraite, elle te touche l’épaule, le bras.. Elle fait beaucoup de gestes ; ainsi, elle occupe l’espace. Elle est présente, elle est omniprésente, elle est envahissante. Non mais regarde-la pérorer ! Je suis sûre qu’elle est encore à leur raconter qu’elle a
fait ses études à Harvard et qu’elle y a rencontré JFK ou Bill Gates. La pauvre, c’est pitoyable. Et ces gogos qui gobent tout. Cela m’écœure.
Oui, je sais elle connaît l’opéra de Sydney , elle a réveillonné à Dubaï, elle se trouvait à Alberville au moment des jeux olympiques d’hiver… Qu’est-ce que cela lui apporte de se vanter ainsi? Ce besoin de reconnaissance, ce besoin d’importance? Cela comble un vide j’en suis sûre, un sentiment d’infériorité . Mais cela ne suscite aucune indulgence chez moi. Et si elle s’ imagine que les gens sont dupes !
Peut-être au début comme ces jeunes qu’elle a harponné à la fin de cette réunion. Ils vont vite déchanter. Mais en attendant je suis exaspérée. Il est vrai qu’avant de la nommer en mon for intérieur “sainte Monique” je me suis laissée envahir par elle. A peine je me posai une question devant elle, histoire simplement d’échanger au quotidien avec cette voisine de pallier, aussitôt elle avait la solution, une recette pour détacher mon petit top en soie victime d’encre de Chine, une recette de poularde digne de Dodin Bouffant,pour le prochain Noël, un placement sûr pour le petit pactole hérité de mes parents, une location incroyable et pas chère à st Barth, une combine pour assister à la cérémonie d'ouverture des jeux à Paris en 2024…

Rien ne semble hors de sa portée. Tiens en voilà deux qui entament une conversation en aparté. Cela ne va pas durer. Elle va reprendre les commandes. Elle va élever la voix . Ou les fusiller du regard. Ou encore , mielleuse et collante, leur taper sur l’épaule. Elle coupe la parole mais on ne lui coupe pas la parole. ah! Sa façon de te regarder comme si tu étais nulle, comme si tu étais incapable. Je l’ai fui dès que je m’en suis rendu compte. Mais pas tout de suite car elle est si persuadée de son importance qu’elle t’en persuade, du moins pour un temps. Elle est mythomane finalement. Mais ces histoires paraissent tellement étonnantes que tu te dis qu’elle ne peux quand même pas inventer tout cela. C’est une entremetteuse, une importune. Elle joue les sauveurs , elle te place en pauvre victime qui a besoin d’aide, et cela marche parce qu’elle ne te laisse pas d’espace, pas d' initiative. Mais rira bien qui rira la dernière. Les gogos semblent ferrés mais, attendons et voyons.

Et maintenant fuyons.

Sylvie
Biographème (à la manière de Roland Barthes)

1.Quarante ans
2.BCBG
3.Mère de Virginie, Hélène, Guillain
4.Fille de “bonne famille”
5.Désœuvrée
6.Genre gauchiste de droite
7.Omniprésente dans toutes les réunions, parents d’élèves, catéchèse, voyage scolaire etc
8.Fut il y a longtemps infirmière à Villejuif
9.Maison de famille dans le Limousin
10.S’entourait de couples du même genre: le confort de l’entre-soi
11.S’ingéniait à s’indigner
12.On l’invitait avec d’autres amis. Elle repartait avec le n° de tel de chacun et avait organisé pour le lendemain un tennis entre les maris, une visite d’expo avec une des convives, le prêt d’un livre avec une autre, et un goûter à venir avec les entants d’une troisième
13.Savait tout sur tout par résumés et lecture des critiques
14.Avait toujours lu le livre lire et vu le film à voir dès parution et sortie
15.Colportait les rumeurs
16.Et son mari? Il subissait…

Sylvie
Ultracrépidanisme

Ce mot est dérivé de la locution latine Sutor, ne supra crepidam, qui signifie littéralement :
« Cordonnier, pas plus haut que la chaussure ! »
et équivaut à l’expression moderne
« À chacun son métier, les vaches seront bien gardées. »

Ce proverbe vient d’une anecdote racontée par Pline l'Ancien :

un cordonnier, entré dans l’atelier du peintre Apelle pour lui remettre une commande, admirait les œuvres du peintre quand il lui signala une erreur dans la représentation d’une sandale. Le peintre la corrigea. Mais lorsque le cordonnier commença à émettre d’autres critiques, le peintre lui répondit « ne supra crepidam sutor iudicaret » (« un cordonnier ne devrait pas émettre de jugement au-delà de la chaussure »)


L'exquise vipère Lady Susan de Jane Austen, interprétée par Kate Bekinsale.