Atelier d'écriture Base Arts
Rue Lauret - Millau
Documents des ateliers
Brady Udall

La Perruque

Ce matin, mon fils de huit ans a trouvé une perruque dans une poubelle. Je suis entré dans la cuisine, passablement irrité parce que je n'arrivais pas à faire un nœud correct à ma cravate verte à motif cachemire. Attablé devant un bol de céréales, il lisait une bande dessinée, la perruque enfoncée sur la tête comme un casque de joueur de football. Elle formait une tignasse de cheveux blonds bouclés, le genre que portent les prostituées ou quelqu'un qui veut imiter Marilyn Monroe. Je lui ai demandé où il l'avait pêchée et il m'a répondu, la bouche pleine de céréales. Je lui ai fait remarquer qu'il n'était pas recommandé de porter des choses qui avaient traîné dans une poubelle. Il a continué à manger et à lire comme s'il ne m'avait pas entendu. Je voulais qu'il l'enlève, mais je ne pouvais pas me résoudre à le lui demander. J'ai oublié mon histoire de cravate et qu'il était l'heure de partir pour mon travail. Je me suis tourné vers la fenêtre. Le brouillard tombait lentement sur la rue. J'ai fait les cent pas dans le séjour, m'efforçant de ne pas regarder mon fils. Il faisait comme si je n'étais pas là. Je l'entendais mastiquer ses céréales et feuilleter les pages. Il y a une image, ou un souvenir, réel ou imaginaire, que je n'arrive pas à me sortir de la tête : au printemps dernier, avant l'accident, ma femme est assise sur la chaise que mon fils occupe maintenant tout le temps. Elle consulte le journal pour voir si l'équipe des Black Hawks a gagné hier soir, et ses cheveux encore ébouriffés, car elle vient à peine de se réveiller, sont seulement un peu plus longs et un peu plus foncés que ceux de la perruque. Je me suis demandé s'il avait la même image à l'esprit ou bien s'il n'en avait aucune. Il a fini par lever les yeux vers moi, mais son visage n'exprimait rien. Il a repris sa lecture. J'ai contourné la table, je l'ai pris dans mes bras et l'ai serré contre moi. J'ai enfoui mon nez dans la perruque. Elle ne Sentait pas le propre et le shampooing comme j'aurais pu l'espérer, mais plutôt la laitue défraîchie. Je suppose que c'était sans importance. Mon fils a glissé ses bras lisses autour de mon cou et, l'espace de quelques secondes peut-être, nous avons été de nouveau tous les trois réunis.

Brady Udall in Lâchons les chiens traduit par Michel Lederer, (10/18 Domaine étranger, 1998)
« Passer l’hiver » d’Olivier Adam: Nouvelles cotonneuses de la dérive humaine ordinaire
« Passer l’hiver » d’Olivier Adam possède des qualités rares : la justesse du propos, la sensibilité, la pudeur, l’attention aux menus détails de la vie quotidienne, l’exacte compréhension des choses et des êtres, et un sens du rythme qui rend son phrasé impeccable. Il est juste dans les évènements, le ton, le style. Jamais outrancier ou pesant ; sa langue sait se faire douce, silencieuse, élégante. Essentiellement influencée par la littérature américaine (Carver notamment) ou par le « comportementalisme sensible » d’un Maurice Pialat au cinéma, son écriture très narrative vise une efficacité immédiate…
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L'Entracte
Une femme quitte sa place à l’entracte et aborde dans le hall un homme qu’elle reconnaît sans savoir où elle l’a déjà rencontré. Il lui propose de sortir faire une promenade plutôt que d’assister à la seconde partie du concert. « On n’est pas obligés… », lui dit-il. C’est dans une situation analogue que se trouvent les personnages des quatre autres nouvelles. Très différents les uns des autres, ils ont en commun un parcours ancré dans une relation forte devenue pesante ou simplement difficile. Pris entre la tentation de fuir et l’obligation de rester, ils se réveillent, et c’est au moins ça. « Hélène Lenoir avait habitué ses lecteurs à regarder avec méfiance les familles et les complots qui se trament derrière les plus quiètes apparences. Mais justement, le désir est toujours là, charnel ou dévié par les appâts du gain, pour briser la paix des ménages, dénoncer cette image figée dont la légende serait L’amour. Dans les cinq nouvelles qui composent L’Entracte, l’écrivain se concentre sur le principal, l’universel facteur du trouble : le sexe. Ici, ce sont généralement les femmes qui révèlent la crise, en la découvrant elles-mêmes ou en la provoquant. » (Patrick Kéchichian, Le Monde) « Les récits d’Hélène Lenoir sont des miniatures qui réfléchissent nos vies, nos mensonges, nos espoirs, nos tentations avec une précision et une justesse bouleversantes. Toutes ces histoires sont vues à travers un regard de femme. Nulle volonté de donner le beau rôle à celle que le récit cerne de près. Hélène Lenoir se situe hors du champ de la morale. Elle observe et décrit sans se soucier de ce qui fait mal, de ce qui blesse. » (Michèle Gazier, Télérama)
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Marie-Hélène Lafon - Histoires

Parcours d'écritures
"Je tente d'être le greffier ..."
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Raymond Carver naît en 1938 dans l’Oregon, aux Etats-Unis, et meurt en 1988. A la fois romancier, poète et nouvelliste, il se fait connaître mondialement grâce à What We Talk About When We Talk About Love. Débutants est la version complète, originale de cette œuvre parue en 1981 sous le titre Parlez-moi d’amour.

A propos
"J'ai vu pas mal de choses dans ma vie.
Une fois j'allais chez ma mère pour y passer quelques nuits. En arrivant sur le seuil, j'ai jeté un coup d'oeil et je l'ai vue, assise sur le canapé, en train d'embrasser un homme. C'était l'été. La porte était ouverte. La télé était allumée. Voilà une des choses que j'ai vues."

A la cuisine, il se versa un nouveau verre et regarda les meubles de la chambre à coucher dans le jardin devant chez lui. Le matelas était nu et les draps aux rayures multicolores, posés à côté de deux oreillers sur le chiffonnier. En dehors de ça, les choses avaient à peu près la même allure que dans la chambre – table et lampe de chevet de son côté à lui du lit, table et lampe de chevet de son côté à elle. Son côté à lui, son côté à elle. Il y songea en sirotant le whisky. Le chiffonnier était à un mètre du pied du lit. Il en avait vidé les tiroirs dans des cartons, ce matin là, les cartons étaient dans la salle de séjour. Il y avait un radiateur d’appoint à côté du chiffonnier. Un fauteuil de rotin avec un coussin de tapisserie au pied du lit. La batterie de cuisine d’aluminium brillant occupait une partie de l’allée. Une nappe de mousseline jaune, bien trop grande, un cadeau, recouvrait la table et pendait sur les côtés. Il y avait une fougère en pot sur la table, et aussi une ménagère, autre cadeau. Un gros poste de télévision sur une table basse avec, à deux ou trois mètres, un canapé, un fauteuil et un lampadaire. Il avait branché une rallonge dans la maison et tout y était raccordé, les appareils fonctionnaient. Le bureau était poussé contre la porte du garage. Il y avait quelques ustensiles sur le bureau, et aussi une pendule murale et deux gravures encadrées. Il y avait encore dans l’allée un carton de tasses, de verres et d’assiettes, chaque objet emballé dans du papier journal. Le matin, il avait vidé les placards et, en dehors des trois cartons dans le séjour, tout était devant la maison. De temps à autre, une voiture ralentissait et ses occupants jetaient des regards.
Mais personne ne s’arrêtait. Il se dit qu’il ne se serait pas arrêté non plus.
« Mince alors, ça doit être un vide-grenier », dit la fille au garçon.
Cette fille et ce garçon étaient en train de meubler un petit appartement.
« Voyons combien ils vendent le lit, dit la fille.
– Je me demande combien ils vendent la télé », dit le garçon.
Il obliqua dans l’allée et s’arrêta devant la table de cuisine. Ils descendirent de la voiture et se mirent à examiner les objets. La fille toucha la nappe de mousseline. Le garçon brancha le mixeur et tourna le bouton en position HACHIS. Elle souleva un réchaud à alcool. Il mit en marche la télévision et la régla soigneusement. Il s’assit sur le canapé pour regarder. Il alluma une cigarette et, après un coup d’œil circulaire, jeta l’allumette dans l’herbe. La fille s’assit sur le lit. Elle quitta ses souliers et s’étendit. Elle aperçut l’étoile du berger.

« Viens, Jack. Essaye le lit. Apporte un des oreillers, là, dit-elle.
– Il est comment ? dit-il.
– Essaye-le », répondit-elle.
Il lança un regard en arrière. Dans la maison, rien n’était allumé.
« Ça me gêne, dit-il. Faudrait voir s’il n’y a personne. »
D’un coup de reins elle rebondit sur le lit.
« Essaye-le d’abord », dit-elle.
Il s’étendit sur le lit et mit l’oreiller sous sa tête.
« Comment tu le trouves ? dit la fille.
– Il est ferme », répondit-il.
Elle se tourna sur le côté et lui mit le bras autour du cou.
« Embrasse-moi, dit-elle.
– Relevons-nous, dit-il.
– Embrasse-moi. Embrasse-moi, chéri », dit-elle.
Elle ferma les yeux. Elle le retint. Il dut lui saisir les doigts pour lui faire lâcher prise. Il dit « Je vais aller voir s’il y a quelqu’un», mais se redressa et resta assis. La télévision était toujours en marche. On avait allumé la lumière dans certaines maisons d’un bout à l’autre de la rue. Il s’assit au bord du lit.
« Qu’est-ce que ce serait drôle que », dit la fille, et elle sourit sans terminer sa phrase. Il rit. Il alluma la lampe de chevet. Elle chassa un moustique de la main. Il se leva et rentra sa chemise dans son pantalon.
« Je vais voir s’il y a quelqu’un, dit-il. Je crois qu’il n’y a personne. Mais s’il y a quelqu’un, je demanderai les prix.
– Quel que soit leur prix, propose dix dollars de moins, dit-elle. Ils doivent être dans une situation plus ou moins désespérée. »
Elle s’assit dans le lit pour regarder la télévision.
« Tant qu’à faire, monte le son, dit la fille avec un petit rire.
– C’est une bonne télé, dit-il.
– Demande-leur le prix. »
Max s’amenait sur le trottoir avec un sac de la supérette. Il rapportait des sandwichs, de la bière et du whisky. Il avait continué de boire tout l’après-midi et atteint une région où la boisson semblait maintenant commencer à le dégriser. Mais il y avait des passages à vide. Il s’était arrêté au bar à côté de la supérette, avait écouté une chanson sur le juke-box, et puis voilà que la nuit était déjà tombée quand il s’était souvenu du déballage dans son jardin.
Il vit la voiture dans l’allée et la fille sur le lit. Le poste de télévision était allumé. Puis il vit le garçon sur la véranda. Il fit quelques pas dans le jardin.
« Bonsoir, dit-il à la fille. Je vois que vous êtes sur le lit. C’est bien.
– Bonsoir, dit la fille, et elle se leva. C’était pour l’essayer. » Elle tapota le lit. « C’est un très bon lit.
– Un bon lit, oui, dit Max. Qu’est-ce que je peux ajouter ? »
Il savait qu’il aurait dû ajouter quelque chose. Il posa le sac et en sortit la bière et le whisky.
« On a cru qu’il n’y avait personne, dit le garçon. Le lit nous intéresse et peut-être la télé. Peut-être le bureau. Combien vous en voulez, du lit ?
– Je pensais en demander cinquante dollars, dit Max.
– Vous en accepteriez quarante ? demanda la fille.
– D’accord, quarante », dit Max.
Il prit un verre dans le carton, en ôta le papier journal et brisa le cachet de la bouteille de whisky.
« Et pour la télé ? dit le garçon.
– Vingt-cinq.
– Vous en accepteriez vingt ? dit la fille.
– Disons vingt. Je peux me contenter de vingt », dit Max.
La fille regarda le garçon.
« Vous buvez un coup, les enfants ? dit Max. Il y a des verres dans ce carton. Moi, je vais m’asseoir. Je vais m’asseoir sur le canapé. »
Il s’assit sur le canapé, s’y adossa à la renverse et les regarda fixement. Le garçon prit deux verres et versa du whisky.
« Combien tu en veux ? » demanda-t-il à la fille.
Ils n’avaient que vingt ans, ce garçon et cette fille, le même âge, à un ou deux mois près.
« Voilà, assez, dit-elle. Je crois que je vais le prendre avec de l’eau. »
Elle tira une chaise et s’assit à la table de cuisine.
« Il y a de l’eau au robinet, là, dit Max. Ouvrez le robinet. »
Le garçon ajouta de l’eau au whisky, au sien et à celui de la fille. Il s’éclaircit la gorge avant de s’asseoir à la table de cuisine lui aussi. Puis il sourit. Des oiseaux zigzaguaient dans le ciel à la poursuite d’insectes. Max s’absorba dans la contemplation de la télévision. Il finit son verre.
Il tendit la main afin d’allumer le lampadaire et laissa tomber sa cigarette entre les coussins. La fille se leva pour l’aider à la retrouver.
« Tu veux autre chose, chérie ? » demanda le garçon. Il sortit le chéquier. Il versa encore du whisky pour lui-même et pour la fille.
« J’aimerais bien le bureau, dit la fille. Combien il faut compter, pour le bureau ? »
Max balaya de la main cette question saugrenue.
« Dites un chiffre », fit-il.
Il les regarda installés à la table. A la lumière du lampadaire, il croyait lire quelque chose dans l’expression de leur visage. L’espace d’une minute, cette expression lui sembla celle de deux conspirateurs, puis elle devint, mais oui, tendre – il n’y avait pas d’autre mot. Le garçon toucha la main de la fille.
« Bon, j’éteins cette fichue télé et je mets un disque, annonça Max.
Mon tourne-disque est à vendre aussi. Pas cher. Dites un chiffre. »
Il se versa de nouveau du whisky et ouvrit une bière.
« Tout est à vendre. »

Raymond Carver Parlez-moi d'amour
Tchekhov La Dame Au Petit Chien
Consignes Nouvelle Instant
La nouvelle-instant
La représentation du genre de la nouvelle la plus largement répandue dans le grand public est celle d’un texte narratif bref, centré sur le déroulement...
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