Emprise hitchcockienne
Rebecca d'Alfred Hitchcock (1940), autre cinéaste qui contribua largement lui aussi à donner une profondeur intime et sexuelle au suspense. Adapté d'un roman de Daphné du Maurier don il reprend le titre, ce thriller psychologique joue davantage que le film de Lang avec le décorum gothique, en déployant sa mise en scène dans l'architecture plus chargée d'un manoir anglais.
L'héroïne sans prénom du film, sans expérience avec les hommes, maladroite et impressionnable, est elle aussi plus typique du genre, même si une certaine ambiguïté pointe à travers sa fascination pour l'ancienne épouse de son mari, morte dans des conditions mystérieuses et dont l'esprit semble hanter la maison.
C'est davantage le personnage de la gouvernante, amoureuse de sa maîtresse, qui relie les films d'Hitchcock et de Lang. On peut voir dans Miss Robey une version plus discrète de l'hitchcockienne Miss Danvers. À des échelles différentes, l'une et l'autre sont des manipulatrices un peu prestidigitatrices, animées d'un brûlant désir de revanche qui se manifestera logiquement sous la forme d'un incendie leur faisant prendre définitivement possession des lieux.
La jeune mariée de Soupçons (1941), réalisé à la suite de Rebecca dont il rejoue en partie le scénario. Joan Fontaine y incarne à nouveau une jeune femme maladroite et coincée, mais cette fois-ci riche, comme la Celia de Lang, et suspectant son mari de vouloir la tuer pour son argent (une des pistes entrouvertes dans Le Secret derrière la porte). Dans le décor contemporain du film, l'empreinte gothique ne passe plus qu'à travers les jeux d'ombre. Une scène est restée fameuse : celle où le mari douteux (interprété par Cary Grant) monte les escaliers avec un verre de lait possiblement empoisonné destiné à sa femme.
À la lumière de ce film, on peut mesurer le désir de Lang de pousser plus loin encore les jeux de faux-semblants en faisant du mari de Celia un être réellement animé d'un désir meurtrier (et à deux doigts de le réaliser), ce qui n'est finalement pas le cas du personnage masculin de Soupçons.
Enchaînés (1946), film d'espionnage avec Ingrid Bergman et Cary Grant, influencé lui aussi, en souterrain, par des références gothiques, puisqu'il y est question d'une femme sous l'emprise d'un mari ancien nazi qui la tue à petit feu, avec la complicité de sa mère.
L'une des scènes de suspense les plus intenses du film s'organise autour d'une clé, subtilisée par la captive et son complice. Lang n'aurait pas vu Les Enchaînés au moment du tournage du Secret derrière la porte, mais les deux cinéastes témoignent à travers leurs films respectifs, proches dans le temps, d'une même attention extrême aux signes, aux détails, aux objets qui captent le regard et prennent en charge la tension dramatique et érotique.
Ce dernier film avec Joan Bennett révèle d'autant plus ce lien entre les deux cinéastes qu'il est l'une des rares œuvres de Lang à placer au centre de sa mise en scène le point de vue d'un personnage féminin et à suivre le fil de son désir. Chez Hitchcock, c'est souvent autour de cet axe féminin que s'articule le suspense.
La Maison du docteur Edwardes (1945) s'impose à ce titre comme une autre référence incontournable, aussi parce qu'il y est question frontalement de psychanalyse à travers le personnage de psychiatre interprété une nouvelle fois par Ingrid Bergman.
L'exploration de l'inconscient des personnages passe par des images symboliques et souvent naïves, comme la surimpression de portes qui s'ouvrent lors d'un baiser, ou encore la représentation d'un rêve sous la direction artistique de Salvador Dalí.
Pas de printemps pour Marnie (1964), où cette fois-ci c'est le mari qui s'improvise psy de sa propre épouse cleptomane tourmentée par son passé.
Ce fil psychanalytique sera repris bien souvent sous la forme de thrillers sanglants et baroques ( Les Frissons de l'angoisse de Dario Argento, 1975, Pulsions de Brian De Palma, 1980), et c'est finalement dans le cinéma de David Lynch que l'on peut voir des plongées hypnotiques et théâtrales similaires dans l'inconscient des personnages, comme en témoigne par exemple la scène de spectacle en playback de Mulholland Drive (2001).