Buster Keaton : un burlesque réflexif
Pourtant, il ne faut pas voir dans le burlesque un simple enregistrement de numéros forains. Très vite, les cinéastes comiques cherchent à tirer parti du cadrage et du montage pour faire naître un comique purement cinématographique, comme en témoigne le court-métrage de Buster Keaton, Neighbours (1921).
Rare burlesque à n’avoir pas été formé par l’école Sennett, Keaton rencontre Fatty en 1917 et le suit chez Joe Schenk, qui fonde les Buster Keaton Comedies, à l’origine de dix-neuf courts métrages en seulement trois ans.
Keaton développe, à travers son personnage « qui ne rit jamais » une forme de burlesque moins agressif que dans les premiers temps, ce qui s’accorde également avec le fait que les films burlesques passent progressivement à un format de
long métrage. Inadapté au monde, le personnage cherche toujours sa place dans un monde qui le rejette, et s’il transgresse les codes sociaux, c’est toujours malgré lui, et avec la volonté de s’amender.
Mais surtout, les gags de Keaton prennent toujours une dimension réflexive sur le cinéma. Loin de se contenter de tordre les corps, de faire rire avec les personnages et les déconvenues qui leur arrivent, il mêle toujours la forme cinématographique au comique.
On pense ainsi à L'Opérateur, dans lequel, caméraman débutant, le personnage joué par Keaton expose deux fois une bande de pellicule, donnant lieu à des effets de surimpressions indésirables, mais très poétiques.
Dans Sherlock Jr, c’est le projectionniste qui tente d’entrer dans le film qu'il est en train de montrer, et qui, refusé par le
film avant de pouvoir s'y tailler une place, doit sauter d’un décor à l’autre, passant sans raccord de la banquise au désert.
Dans Neighbours, Keaton joue un jeune garçon amoureux de sa voisine, qui aimerait déclarer sa flamme à sa dulcinée. Pour cela, il doit franchir le mur qui les sépare, qui représente aussi, plus métaphoriquement, une séparation symbolique.
Le péché originel de la traversée du cadre va induire toutes les traversées de champ possibles et imaginables. Buster est chassé du cadre comme il est chassé de la maison de sa bien aimée.
Pour cela, Keaton utilise tous les segments du cadre (les bords latéraux, mais aussi haut et bas, ainsi que l’arrière du décor), ce qui est assez rare : on se contente souvent d'une logique horizontale. Surtout, Keaton se sert du raccord comme
principe comique, créant une surprise absolue du changement de plan. On ne sait jamais quand il va intervenir, par où, ce qui produit un suspense et un comique de la trajectoire.