Autour de Cléo de 5 à 7 d'Agnès Varda (1962)

“Le premier acte féministe d’une femme, c’est de regarder, de dire “d’accord, on me regarde, mais moi aussi, je regarde.” (Agnès Varda)
Une sélection de documents autour du film pour les classes cinéma du lycée Jean Vigo

Questionnements :
Courants et Périodes - Réception et public
Courants et périodes
Le scénario

Agnès Varda accorde une place essentielle à l'écriture, elle invente sa propre écriture qu'elle nommera à partir des années 1980: «la cinécriture». Pour elle le cinéma a sa propre écriture qui englobe tout le processus créatif faisant un va- et- vient entre images, pensées,sensations. Dans l'avant-propos de l'édition du scénario de Cléo de 5 à 7, elle écrit:

«le film n'a pas été écrit comme un scénario, traduit ensuite au cinéma. J'essaie de travailler bien en désordre, car j'aime que la focale d'un objectif précède parfois dans ma pensée une figure,j'aime aller du site à la situation, du travelling au tourment, du tempo d'un découpage à une pensée, j'essaie d'utiliser le vocabulaire plastique du cinéma avant que les idées sur le film ne se figent dans des mots» (Varda 1962). Elle affirme aussi: «tous mes films répondent à un élément de structure».

La contrainte économique imposée par la production devient pour Varda un véritable moteur d'inspiration : Il s'agissait, à priori, de situer le film à Paris pour pouvoir exprimer un certain état d'incertitude. À partir de ce départ, Agnès Varda va réunir trois idées principales :
- la peur diffuse que lui inspire Paris, elle qui est d'origine à la fois étrangère (enfance en Belgique) et provinciale (adolescence à Sète

;- la peur du cancer, qui commence à faire la une des journaux et qui vient de frapper un de ses amis

- plusieurs inspirations littéraires et plastiques.Cela donne la trame narrative du film: une jeune chanteuse de petit renom attend les résultats d'une analyse médicale qui confirmeront sa crainte d'être atteinte d'un cancer.
 
Transferts et circulations culturels
Sources d'inspiration
Personnages fictionnels pictoraux
"Cléo est une femme nue qu'enlace un squelette" (Varda lors de la présentation à Cannes)
Hans Baldung dit Grien "La jeune fille et la mort". Ce peintre devient l’illustrateur du thème; le mariage contre nature d’Éros et Thanatos en établissant un lien entre sexualité et mort. Rappeler aux vivants dans cette période de peste, le caractère éphémère de la beauté et de la vie terrestre.
"Chez Cléo. Sa chambre façon Leonor Fini" Pas de référence directe à une toile particulière mais l'idée du déshabillé , "d'une vamp dans son boudoir"



Courants et périodes
Transferts et circulations culturels
Les décors

Extérieurs :
Un itinéraire en V chronométré et repéré en amont du film
Une fonction réaliste : Respecter la topographie, distances et le temps de parcours réel
Une fonction symbolique : une marche vers l'annonce de sa maladie. La mort est matérialisées par des enseignes ou camelots "vrais" 5Rivoli Deuil, Pompes Funèbres, avaleur de grenouilles, ..)

Les intérieurs
L'atelier de Cléo : Un ancien atelier de stockage de costumes reconstruit avec les objets et meubles qui sont à la fois le reflet de Cléo, un espace intime et privé et une scène où Cléo s'offre en spectacle. Liens avec le conte de fée également

Les cafés parisiens
Pas de reconstruction ici, mais comme les autres films de la Nouvelle Vague, c'est l’aspect documentaire qui est privilégié.

Le premier café : Le Ça va ça vient. Café très populaire à l'époque, lieu de passage des clients de la Samaritaine, notamment.

Le deuxième café: le Dôme. Ouvert en 1906, ce café est le rendez-vous de la bohème artistique de Montparnasse. Les affiches sont celles du moment, les figurants ceux du café et quelques autres installés par Varda. Des bribes de conversation sur la Guerre d'Algérie, la création.

L'appartement de la cartomancienne, Le magasin de chapeau, L'atelier de sculpture, La cabine du cinéma, tous les autres décors étaient également des décors réels
Courants et périodes

Le film dans le film

"C'est un film burlesque (ou pseudo) où l'on voit un homme induit en erreur par ses lunettes noires. Il voit une jolie négresse et croit que c'est la vision (avec ses lunettes) de sa petite amie. La poursuivant dans la rue, il la voit-ô horreur- tomber, mourir et être emmenée dans un corbillard, cependant que la blonde trébuchant sur un bouquet est abordée, puis ramenée chez elle par un ambulancier. L'homme achète donc une couronne, enlève ses lunettes noires et se trouve nez à nez avec sa blonde que courtise l'ambulancier. Il lui reste à assommer l'homme, à le couvrir de la couronne et à emmener sa douce amie vers un bonheur clairement entrevu." (dans le troisième synopsis p 19)

Un clin d’œil aux copains de la Nouvelle Vague
"Ce sont les lunettes noires que portait Jean-Luc à l'époque qui m'ont donné le sujet .. Un jour, on avait tous décidé de peindre, on était allé à Nice chercher du matériel, on barbouillait allègrement. Et jean-Luc avait enlevé ses lunettes et nettoyé ses verres. J'avais donc vu furtivement ses grands yeux et j'en voulais encore. D'où mon stratagème de lui faire jouer ce sketch où il enlèverait ses lunettes." (Varda par Agnès p 56)

Générique :
Jean-Luc Godard (l'homme aux lunettes noires)
Ana Karina (la fiancée)
(les deux mari et femme)
Jean-Claude Brialy (l'infirmier) (l'ami de Ana Karina dans Une femme est une femme)
Sami Frey en croque-mort
Alan Scott dans son uniforme de marin dans Lola de Demy
Eddie Constantine (l'arroseur municipal)
Le couple Yves Robert / Danièle Delorme (vendeur de mouchoirs et marchande de fleurs
Georges de Beauregard (chauffeur du corbillard et de l'ambulance)

Tournage
3 jours sans lumière aditionnelle
petites saynètes à 14/16 images secondes comme dans les premiers films de Chaplin
fiction et documentaire (observer les paysages urbains)

Hommage au cinéma des premiers temps :

Frères Lumière : Le jardiner et le petit espiègle (1895)
Le comédien burlesque Harold Loyd, "le jeune homme aux lunettes d'écaille"
Esthétique du muet : tournage en 14/16 image/s et projection en 24
cartons d'intertitres
musique d'accompagnement jouée en boucle
caméra fixe
jeu stylisé des comédiens
ouverture et fermeture des séquences à l'iris
(Ce film sera repris en version 4:42 titrée Les fiancés du Pont MacDonald ou Méfiez-vous des lunettes noires présenté dans des festivals comme court métrage)

Une mise en abyme de la perception du monde qui agite Cléo
Aspect réaliste : le film qui est projeté montre un film avec des artistes du moment

Fonction scénaristique
"Il arrive à un moment où, je crois, Cléo a aussi besoin que l'on se moque d'elle, d'apprendre l'humour à ses propres dépends" (Agnès par Varda)

Une mise en scène grotesque et burlesque des choses qui font peur à Cléo : les ambulances et les corbillards
Avec ses lunettes noires, l’héroïne se laisse gagner par le pessimisme et l’anxiété
Dans la deuxième partie, après avoir enlevées ses œillères, elle trouve la vie et l'amour

"La lumière de ce jour-là et la bonne humeur générale restent pour moi un souvenir qui symbolise la Nouvelle Vague telle que nous l'avons vécue : l'imaginaire au pouvoir et l'amitié en action". (Varda par Agnès)
Transferts et circulations culturels

Sources d'inspiration
Personnages fictionnels littéraires
Jacques Le fataliste de Diderot pour la marche et la flânerie
L’éducation sentimentale de Gustave Flaubert
par le personnage de Rosanette, la maitresse de Frédéric Moreau qui est sujette à des crises de larmes à répétition, de brutales sautes d'humeur, fragilité émotive, caractère infantile.Noter aussi sa coquetterie, lit à baldaquin déshabillés théâtraux, bibelots exotiques
Les Cahiers de Malte Laurids Brigge de Rainer Maria Rilke quant au sentiment de peur. Ce livre conte les déambulations d'un danois à Paris suivant des inconnus et captant leurs pensées ou tourments :
"Je me rappelais cet homme un peu difforme, un peu disloqué, qui descend le boulevard Saint-Michel dans un livre de Rilke .. Je voyais des vieux et des solitaires dans la rue, des bateleurs aux gestes étranges (se perçant les bras, avalant des grenouilles." (Varda par Agnès)
Personnes réelles
La chanson populaire et Edith Piaf
Cléo de Mérode, une danseuse "Une femme fatale et vaporeuse, un peu tragédienne, un peu cocotte, entre Cléo de Mérode et Cléopatre (Varda)





 
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